Noma au Japon : über special

Redzepi-noma-world-50-restaurantsEn France on a eu Paul Lacoste. Regretté Paul Lacoste car cela fait un moment qu’on n’a pas vu notre meilleur réalisateur de cuisine, auteur entre autres d’Entre les Bras, à l’oeuvre. Sur le même modèle de l’inside reporting, les hollandais ont eux Maurice Dekkers. Le garçon sort aujourd’hui « Noma au Japon« , sélectionné au festival de Berlin. Ou comment filmer la (Ré)invention du meilleur restaurant du monde dans un pays culturellement opposé au sien. 2015: René Redzepi est invité à Tokyo (l’opération, qui se révèle in fine assez commerciale, sera dupliquée à Sydney en 2016). Le jeune chef, 4 années de suite nommé meilleur restau du monde, accepte – même s’il trouve le restau immonde: « c’est dingue« , dit-il à sa 1ère visite, « mais dans le mauvais sens du terme » – à condition de carrément y délocaliser son restaurant : équipes, cuisine, staff salle, etc. « C’est un méga risque« , commente-t-il froid, stressé, investi. On suit alors pendant ces 90 mn la lente installation de Noma au Japon jusqu’à la précipitation du 1er service, six semaines plus tard. 58 ooo personnes seront en attente, 3000 seulement mangeront. « Il va falloir qu’on assure« , se persuade René Redzepi.
Une 1ère équipe de 5 sous chefs (Lars Williams, Rosio Sanchez, Dan Guisti, Thomas Frebel et Kim Mikkola) est dépêchée sur place en amont pour faire du débroussaillage au fin fond des sous sol d’un très grand hôtel. Les très longues heures de confrontation à soi même, de réinterprétation d’une cuisine danoise qui ne colle plus à l’Extrême-Orient, d’interrogation sur des produits bizarres méconnus, de confrontation avec des plats faits et défaits maintes et maintes fois, de non rencontres avec des collègues hostiles qui vous balancent la porte à la gueule, de la salle de gym de l’hôtel comme unique défoulement. « C’est comme un accouchent. Si on avait su, on ne serait pas venu« , lâche Thomas déjà rincé.
Trois semaines plus tard, Redzepi débarque, écoute sa Noma team et balance derechef le travail de 20 jours à la poubelle. « Vous n’avez pas assez travaillé pour sortir de votre zone de confort. On ne va pas faire du poisson cru ici,  2000 personnes en font« , assène-t-il à l’équipe démolie, « ici, les légumes n’ont pas de gout or notre cuisine est basée sur le légume! Au Japon, ils sont über spéciaux. On n’est pas là pour faire comme à la maison. On doit trouver notre voie« . Et là commence réellement le travail. L’équipe, petit à petit, à force d’heures interminables d’essais et de recherche de produits incroyables, de marches incentives dans la forêt (scène pas très crédible de Redzepi en cueilleur primaire en chemise proprette dans la forêt), de rencontres organisées avec des producteurs locaux, va élaborer un menu de 14 plats. Scène étonnante où les Danois s’initient à la découpe d’une tortue vivante. Recuisson en 50 exemplaires d’un même plat, affinage permanent des moindres détails, tensions tangibles à l’écran, Maurice Dekkers ne les lâche ni de jour ni de nuit et nous non plus.
Naissent alors les doutes, les pleurs, les explosions, les satisfactions, filmés avec précision et émotion, tout ce qui fait que la vie en cuisine devient ainsi passionnante à être observée. « Noma au Japon c’est quoi?« , doute Redzepi, « je ne sais pas encore« . Le film nous montre comment la réponse va se construire. Ces documentaires qui rentrent dedans nous font intimement mesurer combien devenir le premier restaurant du monde signifie quelque chose, repose sur un travail de précision dément et de création incessante.  « Notre job n’est pas de réussir mais d’échouer tous les jours. Si ta nana te largue, c’est pas grave, ce qui compte c’est la sauce que tu dois faire. Ce n’est jamais assez« , entend-on, « il faut donner le meilleur tout le temps. »