Normalement, on rentre dans une boulangerie et on sort avec son petit gâteau pour le manger l’esprit peu perturbé par ce pêché de gourmandise. Mais à Marseille, où l’on s’enfile des tonnes de navettes à la chandeleur, pas du tout. Aujourd’hui, réveillés avant l’aube par toutes les cloches de la ville, beaucoup se sont levés comme moi à 5h du mat pour aller se « régaler » de ce petit gâteau (très) sec dont la recette demeure dans le secret des dieux. Ceci n’est pas son corps et ne rentre pas dans le mien non plus. Mais dans cette cité où le religieux reste très prégnant, on ne rigole pas une seule seconde avec la navette, symbole biscuitier de la seconde ville de France.
Car la navette est en fait intrinsèquement liée à la religion. La procession de la vierge noire qui démarre sur le Vieux-Port à l’heure des éboueurs, s’achève à 8h au célèbre Four des Navettes, par une bénédiction de navettes par monseigneur Georges Pontier, accompagné du maire Jean-Claude Gaudin, ce après une messe d’1h30 à St Victor. « Ce gâteau qui nous rappelle par sa forme une barque (et pas que ndlr….) l’arrivée de l’Evangile par la mer par Lazare, Marie Madeleine et les Saints, daigne le bénir, daigne surtout faire que ceux qui le mangeront et le partageront avec les autres vivent fraternellement sur cette terre bénie« , a dit l’archevêque de Marseille ce matin. Ça calme un peu les gourmands!
Mais tandis que monseigneur fait de la bouillie avec son eau bénite sur toutes les navettes du Four des navettes, sur l’autre rive, le curé de la cathédrale de la Major, Alain Ottonello, procède lui aussi, le 15 décembre, à la bénédiction du four concurrent ouvert en 2003, les Navettes des Accoules (68 Rue Caisserie, 13002 Marseille). La mécréante, fière de ne pas être baptisée que je suis, est allée lui demander quelques explications. Nous avons partagé un certain humour.

Comment un petit gâteau est-il devenu une gourmandise bénie des marseillais?

Marie Madeleine, son frère Lazare, Sarah l’Egyptienne, Maximin, etc., tout ce petit monde est arrivé en Provence pour l’évangéliser, et comme il n’y avait pas d’A320 à cette époque, ils sont arrivés par la mer. Tous dans le même bateau? Bon, on s’en fout. Ce qu’il faut retenir c’est que l’Evangile est arrivé ici par la mer. Ce petit biscuit marin (car il se garde très bien) est donc le symbole, de part sa forme de barque notamment, de cette arrivée – Marie-Madeleine c’est quand même pas n’importe qui! Certes le petit bateau n’arrive plus de Palestine mais de l’Estaque, dépêché par les marins de la ville, mais c’est très symbolique. Pour nous la navette a donc un caractère particulier, car on mange un gâteau en toute bonne conscience « . Autrement dit, boulanger, aide toi à te lever à minuit et le ciel t’aidera. « Le 2 février, par la bénédiction des navettes, nous disons donc merci pour tout ce qui se fait, à la possibilité qu’a l’homme de prendre le gouvernail de sa vie« . Et toc!

Là dessus, se greffe aussi une histoire de fin de célébration de solstice: celle d’hiver démarre début décembre avec la foire aux santons, puis les jours raccourcissent, la fin du monde est proche donc on ne met plus d’oeuf (symbole de vie, renouveau, renaissance, etc) dans la pâtisserie, on fait maigre donc on bouffe des navettes à gogo. A la chandeleur, terminado, les jours rallongent, revoilà la possibilité d’autre chose, fini le maigre, vive le beurre, donc on y va : on fait des crêpes (rondes, vie, etc) pleines d’oeufs. Le problème dans l’histoire c’est que si l’historique Four des Navettes ne met pas d’oeuf dans sa recette secrète, son concurrent des navettes des Accoules lui en met. Ca fout en l’air l’icône.

Mais alors, si la navette, qui est de l’eau et de la farine, c’est comme l’hostie… Pourquoi ne pas remplacer l’hostie par la navette, ça attirerait les ouailles ????
« L’hostie, c’est un objet de foi et non de cuisine! La navette c’est de la farine et de l’eau mais ils mettent aussi autre chose (hihi). Et puis, la forme, heu, bon …  »

Mais monsieur le curé, une dernière question me titille. Voyant la navettes, madame rêve, de formes oblongues, etc … 
« Ah oui, absolument! Ça c’est la fertilité« , coupe court Alain Ottonello.