Déjeuner dans le 16è restau du monde

poulpe-plaza-athenee-50-BestLes 50 Best 2019 sont tombés avant hier: cocorico, le Mirazur de Mauro Colagreco sacré meilleur restaurant du monde. Premier Français à tenir le titre. Mais je voudrais revenir sur la 16è place du World’s 50 Best Restaurants. Juste derrière Septime, le Plaza Athénée qui figure toujours quelque part dans le palmarès, a gagné 5 places par rapport à l’an dernier. J’ai eu la chance d’y retourner il y a quelques mois et ce fut sans doute un de mes déjeuners les plus magistral de l’année. Un bonheur absolu de quelques heures. Depuis le lancement en 2014 du nouveau Plaza, le jeune chef ducassien Romain Meder a clairement fait un f..g good job. Un bond en avant qui colle désormais parfaitement à l’idée de « Naturalité » balancée brute de pomme par Alain Ducasse il y a 5 ans. Personne n’avait très bien compris la lentille et la sardine débarquant dans un trois étoiles. Alors le Plaza a travaillé son discours. « On a été obligé de faire un compromis« , raconte tout simplement Denis Courtiade – qui n’est pas meilleur directeur de salle du monde pour rien. « Innover mais sans dicter ni imposer« , poursuit cet admirable professionnel. « On apporte un peu de confort mais on garde la ligne« .

Décomplexée, classy, punchy & prévenante, l’équipe a appris à devancer et répondre à tout type d’interrogations: pourquoi pas de nappe, pourquoi du pain à la coupe, du pois chiche oui, mais n’importe lequel, etc. Au moindre questionnement, Denis débarque et raconte une histoire qui se termine par « faites nous confiance, on va vous donner les clés« . Le la est donné: le Plaza, c’est un « instant présent« . Abordé comme une expérience, le menu de mets magnifiques mais parfois pauvres – choux-fleur, chanvre, spaghettoni, légumes racines, navets – est envisagé autrement. Pas de nappe certes mais si l’on explique qu’ »ici la préciosité est différente, la table gainée, le bois précieux« , ça passe.

On démarre par une asperge unique, coupée en gros tronçons, à peine apprêtée. Pas besoin de plus de cinéma pour comprendre produits, cuissons et assaisonnements maison! A l’écoute des saisons, défilent l’iconique lentille à la gelée d’anguille fumée et petites galettes magiques de sarrasin, de très délicats pois chiches des Hautes-Alpes + caviar doré et une vesiga tiède-chaud, qui n’est autre que l’enveloppe de l’esturgeon, dont les russes se servent pour lier le jus de poissons, et qui se goute comme une crème très délicate et fumée. Sensation de gras qui ne l’est pas. Inégalable poulpe de roches de Sanary -  et truffe – qui nous rappelle toujours le Ducasse de Méditerranée. On racle son assiette comme dans un bistrot parce qu’on n’a pas oublié ici que bien que triple étoilé, le restaurant même en talons hauts, après tout, c’est juste manger. Les choux ont gout de sous bois, liés au foie de lotte. Ainsi, l’on ne voit plus jamais le choux de Bruxelles de la même façon. Suivent encore une daurade au parfum iodé, un homard aux oeufs émulsionnés au poivre vert et grains de café. Puis les desserts. Jessica Préalpato, qui vient d’être nommée elle aussi par le World’s 50 Best Restaurants – meilleure pâtissière du monde – endosse parfaitement l’idée de naturalité. Les formes sont loin des codes Lenôtre et les goûts, extrêmes – malt, cacahuètes, whisky, algues kombu, céréales, bière…Salutation à son métier et réassurance du palais, elle réintroduit néanmoins en après dessert un classique savarin.

Mention spéciale coté vins. Les accords de Laurent Roucayrol sont travaillés sur des cuvées inattendues – incroyable Clos Stegasta 2015 – en magnum; un Madère Sercial accompagnant intelligemment le dessert au chocolat de la Manufacture Ducasse. Le chef sommelier prend le temps d’expliquer les histoires de vignes et de vignerons. Du vin nature est aussi entré à la carte. Cohérence absolue d’un concept désormais global et qui fait 100% sens.

Ce « travail de conquête et reconquête » semble donner fluidité et simplicité à une cuisine qui s’est paradoxalement complexifiée. Le Plaza joue désormais parfaitement de ses codes. Et pour le client qui se laissera porter, la conquête est absolue.